Cet article a été publié initialement sur les pages du journal Québec nouvelles.

En fermant les comptes d’Alexis Cossette-Trudel, Facebook copie les médias traditionnels; au lieu d’en faire un Gabriel Nadeau-Dubois de droite, le réseau fera de ce gourou un martyr.

Facebook décide de fermer les comptes de celui qui est vu comme le gourou des anti-masques parce qu’on l’associe directement au mouvement QAnon. Celui-ci prétendrait que Donald Trump avait accepté de se lancer en politique pour faire la guerre aux membres du jet-set qui baignent dans les réseaux pédophiles. Sans s’en rendre compte, Facebook fait d’Alexis Cossette-Trudel un martyr. En d’autres mots, le réseau social américain met de l’huile sur le feu au lieu de l’éteindre.

Que Facebook veuille fermer « le clapet » à des gens qui profèrent des propos orduriers, qui passent par l’insulte pour critiquer, qui incitent à la violence, j’en conviens. Le manque de respect n’a pas sa place sur la place publique.

Cependant, fermer le compte d’un « webjournaliste » qui explique ce qu’est QAnon et qui démontre qu’il y aurait, selon lui, des raisons de croire que leurs théories sont plausibles, à mon avis, cette action du réseau porte atteinte à la liberté d’expression. Le droit de parole d’Alexis Cossette-Trudel est aussi discutable que de savoir si Mike Ward avait le droit de faire de l’humour sur le dos du jeune Jérémy Gabriel ou de croire que les soucoupes volantes existent.

Jouer le jeu de la pensée unique

Ce qui me dépasse, c’est qu’un réseau social qui avait pour but de laisser s’exprimer librement tout citoyen du monde se mette à fermer des comptes pour des différences idéologiques. Facebook est-il en train d’imiter les médias traditionnels et d’adhérer par le fait même aux dogmes de la pensée unique? Chose certaine, Facebook est en train de faire de ce journaliste un martyr et de contribuer à la montée de sa popularité à titre de gourou du mouvement qu’on étiquette d’anti-masque.

Option liberté

Je vais maintenant vous expliquer pourquoi Facebook aurait intérêt à laisser ouvert le compte de l’animateur de Radio-Québec. Lorsque Gabriel Nadeau-Dubois (GND) est devenu la voix des étudiants radicaux qui manifestaient lors des grands rassemblements du printemps érable, des représentants du gouvernement se sont assis avec lui ainsi qu’avec Léo Bureau-Blouin et Martine Desjardins pour tenter de négocier une entente. La presse traditionnelle demandait avec persistance à celui qu’on appelait GND de condamner publiquement les actes de violence qui pouvaient se produire lors de ces manifestations du printemps 2012, ce qu’il a fait du bout des lèvres. Pire encore, en novembre 2012, Gabriel Nadeau-Dubois a été condamné pour outrage au tribunal parce qu’il avait incité ce mouvement étudiant, dont il était le porte-parole, à « prendre les moyens nécessaires » pour faire respecter les votes de grève, ce qui lui aura valu 120 heures de travaux communautaires.

Au lieu de faire de GND un martyr, on lui a donné la parole dans les médias traditionnels pour qu’il s’explique. On le confrontait, le questionnait, l’argumentait. Résultat, il a capitalisé sur son leadership pour mener une consultation populaire qui l’a amené à joindre les rangs de Québec solidaire. Aujourd’hui, on ne le voit plus comme le chef des carrés rouges, mais comme un politicien qui a sa place dans l’arène politique.

Pousser à se modérer

Si on laissait Alexis Cossette-Trudel s’expliquer dans les médias et si on lui permettait d’opérer ses comptes Facebook, certes, il serait plus connu de la population. En revanche, si ce dernier veut vraiment opérer des changements qui correspondent à ses convictions, il aurait avantage à adhérer à un mouvement plus large ou à une coalition qui lui permettrait de faire la promotion de ses idées et de ses valeurs. C’est alors qu’il modérerait ses propos et les nuancerait. Si tel était le cas, il devrait quitter le micro pour s’investir dans cette base apte de faire de lui un chef qui incarne une mouvance politique plus musclée que le C.P.Q., car ce parti a obtenu moins d’un pour cent du suffrage exprimé aux dernières élections provinciales.

Le meilleur moyen de réduire l’influence d’Alexis Cossette-Trudel n’est pas d’en faire un martyr, parce que ses partisans vont se lever pour lui. La meilleure option est de le laisser être confronté à ce que l’avenir lui réserve : atteindre un plateau de popularité et laisser le mouvement mourir après la fin de la crise de la Covid ou devenir le chef d’une coalition d’insatisfaits qui formera un groupe de réflexion pour changer les choses. D’ici là, lui accorder l’antenne dans les médias traditionnels ne fera qu’accélérer sa prise de décision vers une option ou une l’autre.

Alexis Cossette-Trudel sait que sa popularité atteindra son apogée d’ici la fin de la crise actuelle. Si son but est de changer les mentalités, il n’aura pas le choix de former une coalition. Si c’est dans cette voie qu’il choisit de se diriger, il devra recentrer son discours, donner les allures d’un homme qui a muri, comme cela a été le cas pour Gabriel Nadeau-Dubois lorsqu’il a joint les rangs de Québec solidaire.

Ce n’est qu’une question de temps, Alexis Cossette-Trudel devra changer son orientation s’il veut changer un tant soit peu les mentalités. À défaut de quoi, il finira par se peinturer dans le coin.

Deux contre une

Trois options s’offrent donc à lui : devenir un gourou qui s’éteint, se transformer en un Gabriel Nadeau-Dubois de droite ou finir en martyr. Dans les deux premiers cas, le choix lui revient. Dans le dernier, la balle est dans le camp de la haute direction de Facebook. En retirant ses comptes d’un réseau social aussi populaire, Facebook fait de lui un martyr, ce qui renforcera son aura de gourou. C’est pourquoi je crois que cette intervention de Facebook s’avère contre-productive.

Qui sera le prochain?

Maintenant, si les réseaux sociaux se mettent à adhérer de plus en plus aux dogmes de la pensée unique, qui seront les prochaines victimes? Les pro-vie, ceux qui s’opposent à l’euthanasie, les communautés de foi théiste, les barslowites? La question laisse à réfléchir et demande une réponse!

Eric Lanthier, chroniqueur politique et social